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27 mai 2006

Rodolphe

RODOLPHE.

Il est cinq heures, il n’est pas encore

rentré,pourtant l’école n’est pas loin, deux cent mètres à peine, nous habitons un petit village de cent cinquante âmes, en pleine campagne, dans l’Eure, la Normandie, mon pays d’adoption.

A onze ans bientôt douze, (il est né un deux juillet), il commence à prendre un peu d’indépendance, et je n’aime pas trop ça, l’enfance serait-elle déjà sur le point de le quitter, de me quitter ?

Il est normal, je pense, pour un père de s’inquiéter des retards d’un enfant de cet âge là, sûrement trop, mais peut-on faire semblant d’être indifférent.

Il faut dire que nous vivons seuls depuis tant d’années, presque onze années !

Ma vie n’aurait pas dû être celle qu’elle a été, mais je ne voulais absolument pas partager l’amour de mon fils, d’ailleurs il a toujours refusé que je rencontre quelqu’un, égoïste autant que moi, je le voulais équilibré, ai-je fait le bon choix, en tant que parent nous savons bien que nous nous trompons toujours de direction.

C’est toujours mieux autrement.

Je rallumerais bien le feu dans la cheminée, ce n’est pas qu’il fasse froid en ce tout début juin, mais j’aime bien l’odeur et la lumière du feu dans l’âtre !

Cette espèce de nonchalance qui en émane.

Cinq heures et demi déjà, je ne m’inquiète pas encore vraiment, mais je n’aime pas ces retards, c’est comme une désobéissance.

Au moins qu’il passe à la maison prévenir.

Jalousie, peut-être, il commence à préférer ses copains.

Avec tous ces moments passés ensemble, toutes ces nuits de maladie à son chevet, toutes ces inquiétudes des bulletins scolaires souvent limites, toutes ces terreurs nocturnes, qu’il me fallait tenter de calmer, toutes ces exigences qu’il me fallait supporter.

Toutes ces colères apparemment pour rien, mais tous ces moments de bonheur pur, rien qu’un sourire, comme un signe de complicité, rien qu’un rire aux éclats, comme seul les enfants savent éclater de rire, ce rire qui vient du plus profond d’eux même, et la vie reprenait tout son sens.

Il me revient en souvenir, ces moments de vacances en camping, pas que j’aime vraiment dormir par terre, mais il avait tellement insisté (si’te plait papa), que je n’avais pas eu le courage de refuser.

C’est pendant ces vacances là, qu’il avait fait la connaissance de quelques gamins de camping, bien sûr, mais aussi du village voisin, j’étais très heureux de voir qu’il se décoincé un peu.

Malheureusement cela n’avait duré que le temps des vacances.

Les fenaisons ont commencé depuis quelques jours, et le village embaume l’herbe coupée, l’herbe qui sèche au soleil.

J’aime !

C’est comme une renaissance, les tracteurs sont à plein rendement.

Les hommes aussi d’ailleurs !

Il faut faire vite !

On sent que l’hiver est bien fini, que les beaux jours se sont vraiment installés pour quelques semaines.

Bientôt les vacances à nouveau, que ferons nous cette année, je n’en sais encore rien.

Il eut sûrement été profitable pour lui de partir un peu, soit chez sa grand-mère, soit en colonie de vacances, mais il a refusé tout net, et j’avoue que j’en ai été rassuré, bien sûr je n’ai pas insisté.

Je trouve le village très gai en ce moment, je ne saurais dire pourquoi, le soleil sûrement, et toute cette activité, peut-être.

Il va bientôt y avoir la fête de l’école, moment traditionnel, moment important dans la vie de notre communauté, c’est l’une des rares fois dans l’année où tous les habitants se regroupent, cela permet d’oublier pour quelques heures les querelles de clocher, c’est vrai qu’à la campagne il faut bien s’occuper.

Cela fait déjà pas mal de temps qu’il m’en parle, il prépare une petite saynète, j’en ai été fort surpris, lui si timide. J’espère simplement qu’il saura aller jusqu’au bout, je crois que je vais trembler pendant tout le spectacle.

Il y a aussi un autre moment important, c’est la fête du village fin juin, juste après la fermeture de l’école.

Oh ! une bien petite fête, mais la fête, avec bal gratuit, stand de tir, chamboule tout, auto-tamponneuse, pêche et manége pour les plus petits.

Bien sûr il y aura une buvette, cidre, vin rouge et vin rosé, les visages des fermiers, déjà burinés par les travaux des champs, vont virer au cramoisi.

Mais heureusement, ça n’est pas tous les jours.

Je crois bien que ce sera tout pour cette année.

Encore deux ou trois ans, et cette fête aura elle aussi disparue.

En attendant je vais en profiter.

Si, que je raconte quand même, j’allais oublier, une tradition veut que l’on mette de chaque côté de l’entrée des maisons des notables, un bouleau coupé.

Quand j’étais jeune, on faisait la tournée en tracteur avec la remorque chargée de bouleau (arbre,(bétulacée) commun en Europe, déjà moins commun après la fête), et l’on déposait nos bétulacées devant chez le maire et autres conseillés municipaux.

Je n’ai jamais su d’où venait cette tradition, je sais bien qu’il ne faut pas confondre les élus du peuple, du simple peuple, mais quand même, à moins que cela vienne de la Royauté, l’aurait fallu les prévenir qu’on avait changé de régime, à savoir si l’ancien valait pas le nouveau.

C’est pas pour être méchant mais bon.

Quand même.

Enfin bon.

J’ai toujours eu grand plaisir à vivre à la campagne, et une grande tendresse pour ses habitants, avec leurs défauts bien sûr mais avec leurs qualités aussi.

J’aime ces gens, j’aime profondément ce milieu, où l’on prend le temps d’avoir le temps, ce temps qui n’a pas la même valeur qu’en ville, d’ailleurs les gens de la ville s’ennuient souvent à la campagne, parce qu’ils croient qu’il n’y a rien à y faire, et ils ont totalement raison, il n’y a rien à y faire, il n’y a qu’à vivre tout simplement.

Quel plaisir de se promener dans le village et de voir les animaux dans les pâturages, des animaux que l’on connaît la plupart du temps par leurs noms, on rencontre un des vieux poussant sa brouette, ou une vieille traînant un arrosoir jusqu’au cimetière, on croise les enfants entrant ou sortant de l’école, presque sage, parce que dans nos villages, l’instituteur, reste le maître, même en dehors de la classe.

Et souvent quelques galopins se sont fait tirer les oreilles pour quelques bêtises commises hors de l’école, mais rapportées à l’instit par les habitants.

Nous à notre époque un simple salut oublié, et c’était la punition.

Et en plus certain d’entre nous, avait une deuxième punition en rentrant chez eux.

À cause du mot a signer.

Et puis les racontars, ah les racontars, pas toujours faux d’ailleurs, il suffit d’un tracteur de la ferme d’en haut arrêté trop longtemps devant la maison de machin ou de truc, pendant que le mari lui est parti travailler en ville.

Quand je vais faire ma ballade, souvent je passe par le calvaire, qui fait un genre de rond point avant l’heure. Puis je me dirige vers le bois du Pendu qui est en haut du village. J’aperçois de loin la Trochée, un vieux manoir que j’aime beaucoup, mais pour cela il faut que je traverse tout le bourg, je passe devant l’école je longe deux ou trois fermes, j’arrive sur la place de l’église, et puis à partir de là, la route descend en pente douce, passe dans la forêt, puis, après plusieurs virages, remonte brutalement vers le Noyer-en-Ouche.

C’est dans cette forêt, que gamin, avec un copain d’école, qui justement habitait la Trochée, (son père a été longtemps maire de notre petite commune, et agriculteur de profession), que nous construisions des cabanes, et que nous les habitions les premiers beaux jours venus.

Quand je suis arrivé dans ce village, j’avais 10, 11 ans.

À l’époque, nous habitions une maison qui n’avait même pas l’eau courante.

Ma première petite fiancée, je m’en rappelle comme si c’était hier.

Mais celle dont je me rappelle le plus, c’était une fille d’un hameau voisin.

On n’allait pas dans la même école, et pourtant, on a fini par se rencontrer, un jour.

Tout de suite, je l’ai reconnue, c’était elle, elle que j’aimais, et que j’aimerai, plus rien ne comptait, à partir de ce jour-là, c’était la furie dans ma tête, jamais je n’ai pu l’oublier.

J’ai pensé à elle chaque jour de ma vie.

Sans mentir, je ne crois pas qu’il se soit passé une journée, sans que je pense à elle.

Elle a été mariée, elle a eu, je crois, un enfant, elle est devenue veuve.

Je ne sais aujourd’hui, ni ce qu’elle fait, ni ce qu’elle devient, elle doit avoir dans les quarante cinq ans, des rides, et comme tout le monde, l’impression d’avoir raté sa vie !

J’ai toujours voulu croire qu’elle m’aimait, et pourtant.

Que de larmes, elle m’a fait verser.

Mais que de rire aussi.

Moi je l’aimais !

Au point de ne plus aimer pareil !

Personne.

Je t’aime encore, enfin, j’aime notre souvenir.

Le souvenir de nous.

Le souvenir de toi.

Voilà.

Il me faudrait te rencontrer, ça me permettrait de voir l’avenir de mon passé.

C’est après que j’ai rencontré l’autre, elle est arrivée au moment où il n’aurait pas fallu, le destin, bref, j’ai voulu me faire croire que je l’aimais, mais voilà, c’est beaucoup plus dur de vouloir se tromper soi-même, que de tromper les autres.

Encore bref, on a eu un enfant, très prématuré, puisque qu’il est né cinq mois après notre rencontre.

Le bois sec crépite, j’aime bien, il faudra en rentrer bientôt, déjà préparer les froids à venir.

Quand il était petit, il réclamait souvent sa mère, maintenant il n’en parle plus du tout, ce n’est pas très bon, il faudrait que je mette la conversation sur le sujet, l’air de rien.

Elle est parti, pas très longtemps après la naissance, elle ne l’aimait pas, elle ne le supportait pas, c’est elle qui me l’a dit, promis juré !

Enfin, si bien qu’un après midi, en rentrant, j’avais le petit mot traditionnel cloué sur la porte d’entrée, à la manière d’un corbeau !

Et le petit, dans son lit, qui dormait tranquille.

Il m’a fallu apprendre les couches, les bouillies, les maladies infantiles, les visites chez le pédiatre, apprendre à gérer mon emploi du temps autrement, bref changer de vie !

C’est à cette époque que grâce à mon métier, j’ai eue un accident.

L’enfant chez ma mère, elle qui ne voulait pas le voir.

Et puis maintenant, pensionné à vie, ça me laisse du temps pour écrire et pour m’occuper de mon fils.

En fait je sais même pas ce qu’elle est devenue, (pas ma mère mon ex.), mais me croirait-il, je ne voudrais pas qu’il doute de moi, j’aurais vraiment trop de peine.

Tiens le voilà qui rentre, il est accompagné d’un copain d’école, une bise furtive, et les voilà partis jouer dans sa chambre.

Le comportement des enfants, en présence d’étrangers est vraiment complètement diffèrent, il faut toujours qu’ils en rajoutent.

Ce soir on fera des pâtes, eh oui ! les repas ça aussi c’est quelque chose, entre le poisson qui est plein d’arrêtes, la viande qui n’est pas bonne, les légumes, etc, etc… !

À part les pâtes au ketchup, et les frites au ketchup aussi, coca-cola comme boisson, pas facile de varier les repas avec un gosse.

Bien sûr je pourrais faire montre d’autorité.

Je pourrais !

L’année prochaine, la sixième, encore un passage délicat à négocier, je m’inquiète toujours trop à l’avance, pourtant je pense qu’il va avoir des difficultés à s’adapter.

Bah, s’il faut qu’il fasse deux sixièmes tant pis.

D’autant qu’il m’a bien prévenu qu’il n’irait pas ! et violemment encore, j’ai bien peur qu’il mette ses menaces à exécution, j’ai toujours eu beaucoup de mal à le faire changer d’avis, quand il est buté sur un truc, je garantis qu’il est buté, et là il est buté !

Quand il a eu six ans, pour sa première rentrée ça a été aussi très difficile, faut dire que chez nous il n’y a pas de maternelle, une seule classe pour tous les élèves alors évidemment il n’est pas question de rajouter des petits, ce qui fait que les enfants se retrouvent à six ans d’un seul coup confrontés aux autres, et surtout, astreints à une discipline qu’ils ne soupçonnaient même pas.

Heureusement nous avons la chance d’avoir un instituteur, directeur d’école, qui a suffisamment d’autorité et de douceur pour que les petits soucis soient résolus rapidement et sereinement.

Lundi !

Je me suis réveillé trop tard, il a fallut courir pour se préparer, j’ai été obligé de sortir la voiture pour l’emmener à l’école.

Quelle chance pour lui, il n’a pas eu le temps de se laver, et ça c’est du bol, pourtant il en aurait eu bien besoin, car depuis sa rentrée des classes à six ans, il s’est remis à faire pipi au lit, et toutes les nuits, sans aucune exception.

Ça fait quand même bientôt six ans que ça dure, et c’est long.

Il faut que j’aille faire quelques courses à Bernay, il n’y a plus rien dans le frigo, je vais en profiter puisque la voiture est dehors.

Pour aller à Bernay, je passe souvent par Beaumont-le-Roger c’est plus long mais j’aime mieux.

Après Beaumont, Serquigny, quand j’ai le temps, je passe par Fontaine l’abbé, aussi ça me rallonge, alors faut vraiment que j’ai le temps, mais j’y ai vécu, autrefois, oh ! Pas très longtemps, et en plus, c’est un tout petit bourg de rien du tout, il n’y a rien à y voir, mais j’aime bien y passer !

Bernay, c’est une vieille ville Normande, avec ses boutiques à colombages, ses petites rues, voir mêmes ruelles, et autres impasses, typiques d’un passé si riche.

Dans le fond de la ville un escalier peu large mais très haut, mène sur un plateau, d’où l’on peut voir toute la cité à ces pieds, c’est magnifique, tout simplement magnifique !

Qui n’a pas vu une vieille cité Normande n’a rien vu !

Pourquoi payer si chère des voyages à l’étranger ?

Toute la rue principale est composée de magasins, alignés sagement de chaque côté, on y trouve tous les produits, qu’ils soient nécessaires ou superflus, et toujours des produits de qualité ; moi ma préférence va aux multiples fromages, camemberts, pont-l’évêque, et autres.

Quand j’y emmène Rodolphe, lui, la bave lui coule surtout devant les pâtisseries, et comme ce n’est pas ça qui manque à Bernay, les promenades en sont d’autant ralenties.

Bien sûr, je cède toujours à ces envies de gâteaux, j’ai pas le cœur à lui refuser, d’autant que c’est vrai qu’on ne sort pas en ville ensemble très souvent.

Je me rappelle d’un voyage à Rouen, pour des lunettes.

On en avait profité pour aller dans un salon de thé, il avait choisi une montagne de gâteaux, là encore, je n’avais pas eu le courage de dire non.

Quand on est rentré le soir, bonjour l’odeur dans la voiture, je l’ai regardé dans le rétroviseur, il était en train de vomir, obligé de s’arrêter pour nettoyer le plus gros, heureusement, j’ai toujours du sopalin dans le coffre, avec Rodolphe, c’est plus prudent.

L’instit m’a pris à part, encore une fois, pour me dire que Rodolphe ne participe absolument pas à tout ce qui est oral, et que cela va lui poser des problèmes, en sixième.

Il n’est pas encore assez mûr.

J’en discuterai ce soir avec lui, mais je sais d’avance qu’il va se fermer comme une huître, et que je n’en tirerai rien.

Déjà qu’il ne veut pas passer au collège, il a tout fait pour redoubler.

Peut-être, que ça aurait été mieux.

C’est vrai, que ça va me faire drôle à moi aussi, la Barre-en-Ouche, il y a quand même dans les dix kilomètres, il faudra qu’il mange à la cantine, je ne le verrai plus que le matin au lever, et le soir entre les devoirs et le dîner.

Bien sûr je m’y ferai, et lui aussi.

Il m’a demandé hier au soir de partir en vacances en Bretagne, pourquoi pas, la Bretagne c’est très beau aussi.

Ça ne vaut pas la Normandie, mais quand même !

Par contre, cette année l’hôtel ou rien, pas question de camper ! pas tous les ans en tout cas.

J’aurais préféré me baigner dans des eaux plus chaudes, mais voilà, son nouveau copain va à Etel, alors ! et puis ça fera l’occasion d’avoir des amis, pour moi aussi, puisque on partira tous ensemble, avec les parents du petit.

Fin juin.

Les foins sont rentrés, encore quelques jours de soleil, et ce sera au tour des blés.

Quand j’étais enfant, c’était une fête de travailler dans les champs, l’été, on commencait dés que la rosé s’était évaporée, jusqu’au soir ou l’humidité retombée.

Nous rassemblions les bottes de paille ou de foin, par quatre ou six, pour que le tracteur puisse être chargé sans s’arrêter à chaque instant, notre rôle à nous les gosses, était aussi de ranger les bottes sur la charrette, au fur et à mesure que les hommes nous les envoyaient d’un coup de rein avec leurs fourches à trois dents.

Les femmes, elles, s’occupaient plutôt des casse croûtes à apporter aux hommes en plein travaux, puis il y avait les repas à préparer, midi et soir, pour toute l’équipe, mais ça leurs arrivaient assez souvent de ranger le foin dans les greniers, pendant que les paysans retournaient au plus vite dans les champs charger à nouveau la remorque.

Ces repas que l’on prenaient, tous ensemble après une dure journée de labeur, souvent à la nuit tombante, des planches, des tréteaux, et voilà une grande tablée d’installée.

Les échanges de vue sur le temps, les saisons qui ne sont plus ce qu’elles étaient, le blé qui était plus beau l’année d’avant.

Les épis sont encore un peu humides et bien légers malgré tout, la saison est bien avancée, il faut moissonner quand même sinon on risque de tout perdre.

Cette année, on va pas faire beaucoup de quintaux à l’hectare, et en plus pas du beau.

Faudra faire mieux l’année prochaine, sinon ?

Que de souvenirs d’enfance, le plus dur à la campagne, c’est l’hiver, aller charger les betteraves pour les distribuer aux bêtes, ou le ramassage des pommes à cidre, dans les gelées blanches du petit matin d’octobre, juste avant d’aller à l’école.

Je me rappelle le passage du bouilleur de cru, c’était quelque chose, rien que l’odeur, c’est impossible d’oublier, ça et la pulpe de betteraves, quelle horreur !

On préparait le cidre bien sûr, mais aussi le calva.

Le calva que certain mettait dans le biberon des bébés pour avoir la paix la nuit, je l’ai vu, je le jure !

Je me rappelle aussi de tous mes amis, amis d’école ou autres amies d’enfance, premiers émois, premières infidélités douloureuses, premier baiser, premier croix de bois, croix de fer amoureux, si je mens l’enfer ?

Heureusement, on ment souvent et il n’y a pas d’enfer !

Premier, je ne pourrai pas vivre sans toi, que d’illusions perdues.

L’apprentissage de la vie !

Les soirs de printemps, qui à l’adolescence sont d’une moiteur étrange, on a déjà compris sans le savoir vraiment, que l’enfance est partie.

Perdue !

C’est comme un malaise, une chose inexplicable, on a quitté l’enfance, mais, on n’a pas encore trouvé l’adulte, que l’on sera obligé d’être !

Pourquoi ?

Mais c’est pour mieux mourir mon enfant !

Les vacances sont là, et la Bretagne toute proche, nous partirons le 1er août, les moissons seront probablement terminées, bien que je n’y participe plus, j’aime tellement cette ambiance que je ne voudrais rater ça pour rien au monde.

Après avoir remis en cause le site d’Etel, et après avoir cherché et cherché encore, sur une carte, on se décide finalement pour Etel quand même.

Faut dire que le père de Thomas est buté, ils vont là tous les ans, ils ont leurs habitudes, et lui ne veut pas changer d’endroit.

J’espère simplement que l’arrière pays sera déserté par les touristes, j’irai y faire quelques grandes et reposantes ballades.

Aujourd’hui, Rodolphe a reçu une lettre, je sais d’où elle vient, ou du moins de qui, dix ans après, dur, dur !

D’autant qu’il est allé la lire dans sa chambre, et qu’il ne m’en a pas parlé, je meurs de curiosité, mais je n’ai pas le droit de la questionner, pourtant !

Il a les yeux rougis, c’est la première fois qu’elle lui écrit, où même qu’elle prend de ses nouvelles.

J’en suis malade, j’ai peur qu’elle décide de me le prendre.

Malheur, encore une nuit blanche en perspective.

Je pourrais lire son courrier !

Pourquoi dix ans après ?

Ne pouvait-elle nous foutre la paix ?

Cette lettre que je redoutais tant !

Elle est là aujourd’hui !

Toutes ces années vécues ensemble, vont-elles finir par un constat de non avenu… ?

Devrais-je partager ?

Comment accepter, quel courage il va falloir, l’aurais-je seulement ?

Bien sûr dans l’intérêt de l’enfant.

Quel dommage de ne pouvoir rester égoïste.

Notre promenade de ce soir va m’être bien triste, et par pudeur, je ne lui poserai pas la moindre question, j’enrage et le mot est faible, si seulement il acceptait de partager, de me parler !

La campagne est belle la nuit, seulement éclairée par la lune, on y devine par leurs cris, quelques animaux nocturnes.

On essaie d’apercevoir où l’on met les pieds, la nuit à la campagne c’est très sombre, pas comme en ville où il y a toujours une lumière parasite.

Chez nous la nuit il fait noir ! C’est vraiment la nuit !

On marche côte à côte, dans un silence qui devient de plus en plus pesant, il a envie de parler, je le sens, j’en suis sûr, mais il n’ose pas, c’est dommage.

Cette lettre qui efface d’un coup dix ans de bonheur !

Nous passons devant la ferme de la « mare Auzout », il nous reste encore un petit kilomètre à parcourir, et le dialogue est toujours en panne, c’est la première fois que cela arrive, décidément c’est la journée des premières fois !

La soirée est fraîche, la rosée est déjà tombée, je sens l’humidité sur le visage et les mains.

Par contre la sueur me coule dans le cou !

Je voudrais tant savoir !

Hélas ! je n’en saurai pas plus ce soir, je ne vais sûrement pas dormir tout de suite.

Je me sers un petit verre de calva, parce qu’il n’y a pas de raison que ce soit réservé aux gosses, je bois doucement, délicatement, je réfléchit, tant que je le peux encore.

Déjà fini, je m’en sers un second.

Je ferais mieux d’aller me coucher, j’y verrais plus clair demain.

Je me suis endormi tard, mais le jour vient enfin me sauver de cette interminable nuit.

J’entends du bruit en bas, dans la cuisine, ce n’est pas dans ses habitudes de se lever avant moi.

Une enveloppe sur ma table de nuit, l’écriture de mon fils.

Le café est prêt, une fleur des champs dans un verre, à côté de mon bol, le gros bisou du matin, et la journée va pouvoir commencer.

J’entends dans la cour, le fermier qui a fini la traite et qui emmène les bêtes dans la prairie, de l’autre côté de la route.

Je les regarde longer la mare, avant de sortir de la cour, l’été ça va encore mais, au moment des pluies, pour traverser la cour il faut des bottes, qui souvent font un bruit de ventouses lorsque l’on essaie de les arracher à la boue.

Ce n’est pas toujours agréable.

On ne peut avoir les avantages, sans les inconvénients.

La lettre que j’ai trouvée ce matin, me trouble, et me fait plaisir malgré tout.

J’aurais tant aimé que les choses soient plus simples ; néanmoins il va falloir faire face.

Je croyais tellement que j’y étais préparé, et pourtant je me retrouve comme tout nu.

Il faut que j’aille marcher, je vais aller du côté de la Mérité, j’aurais le temps de réfléchir.

Pourvu que je rencontre personne, je n’ai vraiment pas envie d’être aimable !...

Rodolphe veut m’accompagner.

Il me parle de sa lettre, celle qu’il a écrite, pas l’autre !

Il est onze heures, le soleil est de plus en plus chaud, la marche en plus, je transpire comme une bête, heureusement il va être temps de faire demi tour si nous ne voulons pas rentrer trop tard.

Nous avons fini par bien rigoler, jouer à se courir après, et cueillir quelques fleurs.

On s’est bagarré aussi, pour rire bien sûr, le moral a bien repris le dessus.

Cet après-midi on pourrait peut-être aller se baigner, ou bien faire un tour de pédalo, à la base de loisir de Barc, tout à côté de Beaumont.

Le fond de l’air est lourd, il n’y a pas le moindre souffle de vent.

Faut dire que sur l’eau, il ne fait pas si chaud que ça, d’autant qu’on n’en a bien profité pour s’arroser copieusement.

Heureusement que je nous connais, et que j’avais prévu des vêtements de rechange.

La fête de l’école s’est bien passée, moi qui avais un peu peur pour Rodolphe, mais il a été à la hauteur, il a dit son texte presque sans trembler.

Après le passage de quelques élèves sur le podium pour des chansons,

on a eu droit à un prestidigitateur, tous les ans, l’instituteur fait venir quelqu’un pour animer l’après-midi.

Rodolphe était surexcité, je ne l’avais encore jamais vu comme ça !

Ensuite, il y avait un genre de distribution des prix, pour pouvoir remettre aux enfants, à tous les enfants, un ou plusieurs livres !

Puis le goûter, pour tous, parents compris, il y avait bien longtemps que je n’avais bu du chocolat, l’année dernière sûrement !

Au même goûter !

Demain, c’est le dernier jour d’école, la journée nettoyage des pupitres, rangement des placards, ils ont quand même la chance de n’avoir plus d’encrier à vider et à laver.

Rodolphe vient de rentrer, il est très content de sa journée, la dernière.

Il est encore intenable, depuis la fête, y a plus moyen de le faire tenir en place.

Il est enfin couché.

Ce soir il m’a fait un cadeau, une maquette de bateau de la Santa-Maria, je l’ai reconnue tout de suite, c’est une maquette que j’ai faite autrefois, quand j’allais encore à l’école !

Bref, il l’a piquée, pour me l’offrir, des fois je me demande ce qu’il a dans la tête, il m’a affirmé que c’était pas grave puisque l’école était fermée, et qu’après il irait au collège.

C’est une situation que je n’aime pas du tout, comment doit-je réagir, d’un côté, il a voulu me faire plaisir, d’un autre côté, il a quand même volé, et ça, pour moi, c’est grave.

J’aime pas du tout !

Est-ce que je dois l’obliger à rapporter l’objet avant que l’instit ne parte lui aussi en vacances, ou vais-je le faire moi-même, et m’expliquer avec lui ?

Je crois que la deuxième solution est la meilleure.

On verra demain.

Camping

La toile de tente est plantée, le coin est agréable, les parents de Thomas sont un peu cons, il ressemble à leur fils, ou le contraire.

Mais il ne s’agit que de quinze jours, alors.

Le beau temps est au rendez-vous, mais il y a trop de bruit, les gosses, qui courent dans tous les sens, hurlant, évidemment eux aussi, ils sont en vacances, mais je ne supporte que le mien, de gosse, comme beaucoup de parents.

Faut dire que ce n’est pas le dernier cette année à faire du bruit, avec son copain, ils s’en donnent à cœur joie, et c’est tant mieux, y’a pas de raison que les autres n’en profitent pas.

Ils sont partis à l’eau en courant, décidément les enfants n’ont jamais froid, quand ils s’amusent.

Moi, je suis allé la toucher du bout des pieds, et franchement ça m’a pas fait rire.

J’avais pourtant bien dit que je ne reviendrais pas en Bretagne, pour des vacances au bord de l’eau.

Qu’on dise pas que j’aime pas la Bretagne, c’est pas vrai, mais pas le mer Bretonne, oui ça c’est sûr.

Dés que je sors de la campagne, je suis perdu.

Je suis déjà invité à prendre l’apéro chez les Ducons, ça commence bien, je sais pas si je vais tenir quinze jours, mais je m’étonnerai.

Je crois que je vais mettre un cadenas à la toile de tente.

Avoir la paix.

Rodolphe est revenu grelottant, je l’ai disputé, c’est rare, mais il fallait que je me venge, j’ai tellement envie de rentrer, et c’est lui qui a pris.

Évidemment il y avait que du Ricard, et qu’est-ce qu’on a ri, très drôle !!!

J’avais l’impression de regarder la télé, le pied.

Et en plus il a fallu rester manger.

S’il compte sur moi pour les inviter ils sont pas prêts d’avoir une indigestion.

Coucher minuit, je n’aime pas que Rodolphe se couche tard, même en vacances.

Demain, ça l’obligera à se lever vers onze heures, midi.

Enfin une journée de passée, plus que quatorze.

Je traîne un peu, je n’ai pas sommeil, la ballade du soir avec mon fils me manque.

La nuit a été longue comme toutes mes nuits, depuis longtemps.

Ce que je n’aime pas le matin, c’est entre cinq et sept heures, là je m’ennuie vraiment.

L’humidité est remontée pendant la nuit, il fait très frais, il faudra isoler davantage nos couchages.

Il a eu à peine le temps de déjeuner, il était beaucoup trop pressé d’aller courir dans le sable avec son copain, je crois que je vais aller faire les courses tout seul.

Le village n’est pas grand, mais tout est construit en vieilles pierres de granit. Il me revient en mémoire cette chanson, les MENHIRS, de Maurice Vallet.

Demain j’emmène mon fils visiter le Mont St Michel, ça lui fera plaisir, il aime bien visiter, voir des choses nouvelles, et puis, ça lui fera du bien de sortir un peu, toile de tente et plage tous les jours, il doit commencer à s’ennuyer.

Le Mont St Michel c’est beau, mais Rodolphe avait la tête ailleurs, et je n’aime pas le voir comme ça.

Est-ce que c’est l’histoire de sa mère qui l’ennuie, ou la rentrée des classes peut-être ?

Du coup ma journée en a été un peu gâchée.

Rentrée

Ça y est c’est la rentrée, Rodolphe en est malade depuis plusieurs jours, mais il n’a pas le choix, il faut y aller.

Faut dire que l’été a été particulièrement fructueux pour lui, il a fait connaissance avec la cousine de Thomas, Estelle je crois que même s’il ne la revoit pas, il s’en souviendra toute sa vie.

Du coup il ne se parle plus du tout avec Thomas, et j’ai été obligé de rester plus longtemps que nous avions décidé au début, mais je ne pouvais quand même pas l’arracher à sa petite copine comme ça.

Elle habite Bernay.

Bref, on ne rentre que le vingt cinq.

Pour le premier jour, je vais aller le conduire au collège, après il faudra qu’il prenne le bus de ramassage scolaire.

Hier soir, il a pleuré doucement dans son lit lorsque je suis monté lui dire bonsoir.

Et ce matin, j’ai encore trouvé son lit mouillé, ça fait plusieurs jours que ça dure, j’étais content parce que pendant les vacances, je le croyais guéri, mais avec l’angoisse, reviennent les petits ennuis.

J’espère que ça va passer assez vite maintenant.

A douze ans !

ISABELLE

Je vais sûrement me faire disputer, je n’ai pas prévenu.

Papa doit être furieux après moi.

Mais je ne pouvais pas rater ça.

Isabelle qui m’invite à goûté chez elle, en sortant de l’école.

La fille la plus canon du village ; et même du monde.

Elle habite vers l’église, à l’opposé de chez moi.

Je sais que mon papa, va être en colère, mais si je lui explique il comprendra.

C’est bizarre, plus j’approche de la maison, plus je ralentis mon pas automatiquement.

Je vais pas me faire disputer.

J’en suis de moins en moins sûr.

Plus j’approche, moins j’en suis sûr.

Heureusement, j’ai prévu, je suis passé prendre un copain, pas con !

Il s’appelle Thomas, je l’aime bien, je sais même pas pourquoi !

Mais je l’aime bien !

Je suis content, on va partir ensemble en vacances, avec nos parents, enfin moi avec que mon père.

Je sais qu’il est pas emballé, emballé, mais pour moi il est prêt à tout, surtout quand je lui fais mon regard doux. Eh oui !

Faut dire que j’en profite un peu !

Même beaucoup !

On a organisé un petit groupe entre copains, et copines, de l’école, et on va se promener ensemble le samedi après-midi, et des fois aussi le mercredi, mais pas tous les mercredis, parce que mon père veut pas que « j’aille traîner » trop souvent.

On va toujours dans les bois !

On rigole bien.

Enfin quand je dis copains copines, c’est surtout copains, parce que les filles, elles ont peur des garçons, souvent, elles ont raison.

Faut dire, qu’il y en a qui se gêne pas pour les emmener derrière des arbres, j’sais pas pour quoi faire.

Alors elles sont inquiètes, comme si elles aimaient pas ça ?

Bref, on joue pas que avec des filles, on fait autre chose aussi.

Surtout moi, parce que du côté des filles, faut dire que j’ai pas trop de succès, et puis surtout j’ose pas trop.

Je me sens pas assez mûr, faut que je vive un peu avant de rencontrer une fille !

Après, elle vous empêche de faire ce que vous voulez !

Déjà, pour ça y a mon père !

Y en a bien une qui me plairait, mais elle, elle ne vient pas avec nous, elle s’appelle Isabelle.

Je l’aime bien, même beaucoup, elle m’a même invité à goûter une fois, j’étais vachement heureux !

J’ai même pas osé l’embrasser, faut dire que c’était la première fois que j’allais chez une fille, et que à part bafouiller pendant tout le goûter, j’ai pas pu faire autre chose, elle a dû me trouver drôlement con !

Tout ça pour dire que je l’aime, mais de là à gâcher ma jeunesse, je sais pas trop ?

Puis, j’ai peur si on a un enfant, comme en plus je suis pas très, très beau, j’ai un peu peur que ce soit du gâchis, je parle pour l’enfant, alors je voudrais pas le rater par inexpérience.

Ce serait vraiment trop bête !

Enfin, ça doit pas être trop dur puisque tout le monde en fait !

Des ratés aussi d’ailleurs !

Par exemple moi !

Ils devaient être débutants ensembles, mes parents !

C’est pour ça que ma mère s’est tirée, quand elle m’a vu, elle a bien attendu pour si j’allais m’arranger !

Mais c’était désespère, et elle est partie !

Tant pis !

Isabelle me parle plus.

C’est con une fille !

Tout ça parce que je suis allé à l’anniversaire d’une copine, Aude, et qu’elle, elle était pas invitée.

En tout cas on s’est bien marré, on a fait les cons, j’ai embrassé une fille pour la première fois, c’est dégueulasse, mais c’était bien quand même.

Je sais pas expliquer ce qui s’est passé dans mon corps, mais c’était drôle, je veux pas dire rigolo non, drôle, bizarre quoi !

Mais très bien.

Peut-être que l’autre conne l’a appris, bref, on a passé un super après-midi, surtout quand on a été pisser sur le lit du frère de Aude.

J’aurais voulu voir sa tronche le soir, moi j’ai pas pu beaucoup parce que quand on me regarde, j’arrive pas, mais ça fait rien, les autres ont fait tout ce qu’il fallait.

C’est con parce qu’on ne sera sûrement plus invité chez eux, et d’ici que ses parents en fassent tout un sac, et qu’ils préviennent mon père.

Enfin on a bien rigolé !

Mais aussi, c’est le plus grand lèche-cul de l’école, d’abord il est toujours premier.

C’est une preuve ça !

Même sa sœur le dit, en plus c’est pas vraiment sa sœur, sa mère couche tellement, qu’elle se mélange dans ses rendez-vous.

Alors tu vois qu’Isabelle, a craint rien, je vais pas garder la fille d’une pute.

C’est juste pour apprendre des trucs.

Parce que Isabelle pour être coincée, elle est vraiment trop coincée !

Papa, était content, et pas content, que je sois invité, surtout pas content parce qu’il y avait pas d’adulte pour nous surveiller, et ça il aime pas.

Faut dire qu’il a toujours peur qu’il m’arrive quelque chose.

Papa poule quoi !

Des fois, c’est bien, parce que je sais qu’il m’aime, mais des fois c’est carrément chiant.

Enfin, je l’aime quand même !...

Aude veut qu’on s’écrive pendant les vacances, on sait jamais on peut encore rigoler, surtout qu’à la rentrée, je passe en sixième, avec elle, Isabelle elle, elle reste en primaire, elle a que dix ans.

Alors forcément !

J’avais envie de redoubler pour rester avec elle, mais bonjour le scandale à la maison !

Tant pis, je l’attendrai l’année prochaine.

Mais en attendant, y a quand même Aude.

J’ai pas trop envie d’aller en sixième, j’aime pas changer mes habitudes…

En plus, je serai obligé de manger n’importe quoi à la cantoche, alors que mon papa sait si bien ouvrir les boites.

J’exagère !

Exprès.

Et puis, j’aime bien rentrer chez moi à midi ça fait une coupure.

Je crois que j’aime pas l’école !

Enfin pas beaucoup, même pas du tout, c’est ça je déteste l’école !

Il y avait pas assez de Charlemagne, il a fallu Jules Ferry.

Non mais de quoi je me mêle !

J’ai reçu une lettre, c’est l’ex-femme de mon père qui m’a écrit, c’est la première fois depuis qu’elle est partie.

J’ai beaucoup pleuré, mais c’est pas grave.

Mais ça me fait quand même de la peine pour mon papa, parce que moi, y a longtemps que j’ai décidé que j’avais pas de mère, je sais bien qu’elle est morte y’a au moins mille ans, au moins !

Maintenant je pense qu’à elle, enfin presque, j’ose pas en parler à mon père, j’ai peur de lui faire de la peine.

Je voudrais bien savoir, si c’est vrai, que c’est pas mon père.

Toute façon, je lui en parlerai jamais, jamais, jamais !

En tout cas il est plus mon père que elle ma mère, ça c’est sûr !

Mais ça fait un choc, parce que même ma grand-mère qui me reste, et ben, c’est plus ma grand-mère !...

Quand je pense, qu’on a appris à l’école à faire son arbre généalogique, j’ai tout faux !

Tant pis !

Mais c’est triste quand même.

Je voudrais bien savoir qui c’est mon père ?

Ma mère, je la connais, y a toujours une photo à la maison, je suis dans ses bras, j’ai jamais accepté, que c’est moi ce bébé qu’elle porte.

Il y a rien dans ce regard, je l’aime pas.

De temps en temps, mon père me demande si je veux qu’on parle d’elle.

Je lui réponds jamais.

Je peux pas.

Et je veux pas !

Avec les copains, aujourd’hui, on avait décidé d’aller attraper des vipères.

Un défi quoi !

On s’est bien amusé, surtout avant que se soit mon tour !

Avec un bâton fourchu, on leur bloque la tête.

Et puis voilà, après elles essaient de se dégager, et puis elles s’entortillent autour du bâton.

Mon père me racontait qu’autrefois, on touchait des sous, quand on attrapait une vipère, ou un corbeau, ou un renard.

C’était des nuisibles.

Enfin, on a passé un bon après-midi, tous ensemble, y avait pas de filles, elles ont trop peur des vipères, mais aussi des garçons, comme je l’ai déjà expliqué !

OPTICIEN.

On y est, « OPTICIEN LACOUTURE ».

Eh oui, en plus je suis myope !

Moi je l’appelle, opticien LATORTURE.

Parce que faut voir les modèles qui vend, surtout pour les gosses, et puis faut voir comment y me touche les joues pour me les essayer ! et ça n’en finit pas !

J’aime pas du tout ! Mais mon père a ses habitudes, ça fait vingt ans qui vient là, alors !

Parce que papa aussi porte des lunettes, jusqu'à maintenant je croyais que c’était de famille, mais bon !

Pour lui, il en prend des belles, et des chères, enfin des belles pour vieux quand même, je veux dire pour un jeune comme moi ça ferait vieux !

Mais lui ça lui va, même ça lui va très, très bien !

Pour moi faut économiser, parce que faut changer souvent, d’abord je grandis, les verres sont plus bons, et en plus je casse !

Pas exprès, mais je casse !

Mais là, j’ai cassé exprès, bien fait !

Elle m’allait plus du tout, pas les verres, mais la forme, j’étais moche !

C’est pas que à cause des lunettes, mais j’étais moche !

Des montures vert criard usées, en plus, l’idéal quoi !

Ça c’est sûr que dans une fête, y peut pas me perdre, ou alors ce serait louche !

Bon, pour en revenir aux nouvelles lunettes, j’ai décidé de prendre des en fil très mince, en titane, jolies, discrètes, enfin des qui m’arrange un peu, si possible avec des verres qui se teintent quand y a du soleil, c’est mieux !

Mais ça fait peut-être beaucoup ?

Rouen c’est superbe, après l’opticien on a visité un peu le centre, là où il y a la grosse pendule, on se retrouve en plein moyen âge, puisque ça peut pas être héréditaire, c’est quand même mon père qui m’a appris à aimer l’histoire, le passé, les vieilles murailles, les châteaux, moi ce que j’aime le mieux, c’est les châteaux forts. !

J’aime bien aussi, « châteaux renaissance ! »

On profite de cette journée à Rouen pour rentrer dans un salon de thé, moi j’ai pas droit au thé, alors je prend un chocolat, bien épais avec la crème qui nage dessus, et puis bien sûr plein de gâteaux, papa lui prend toujours thé citron, y a pas à se tromper, lui c’est thé citron, plus un gâteau tout riquiqui, enfin tant pis pour lui.

Le chocolat est super bon, les gâteaux aussi d’ailleurs, j’en peux plus, mais je veux pas en laisser, pourtant je commence à avoir mal au cœur !

J’aime bien cet endroit très chaud, avec du bois partout, des glaces immenses, l’odeur, les serveuses avec leurs petits tabliers blancs.

Leurs sourires aussi, je me dis que ça doit être comme ça une mère !

Dehors il pleut, les gâteaux sont lourds, et ils me remontent, faut surtout pas que je vomisse.

Mon père ouvre son parapluie, je l’aime bien ce parapluie, il est tout petit plié, il suffit d’appuyer sur un bouton et hop, un parapluie normal !

Moi les parapluies, je trouve que c’est plutôt pour les filles.

On roule déjà depuis un moment, ça va de moins en moins bien, en plus les virages, les montées, l’odeur de la voiture, bref, d’un coup une gerbe, j’y peux rien, c’est pas ma faute !

Papa obligé de s’arrêter pour nettoyer, je vous raconte pas l’odeur !

Heureusement qu’il a toujours du sopalin dans le coffre, parce que avec moi c’est mieux, en plus je m’en suis mis partout, agréable !

Bref, on rentre comme ça, j’aurais plus qu’à me changer et peut-être à me laver en rentrant ?

Pour en revenir aux lunettes, je les aurais la semaine prochaine, elles sont comme je voulais en titane belle et tout, sauf qu’elles sont pas teintées, mais enfin c’est déjà pas mal, c’est plus des lunettes d’enfants, évidemment j’ai promis d’y faire attention !

Je suis pressé de les avoir, ça va me faire léger à côté des vieilles.

En attendant, le vendeur m’a fait une réparation de fortune, pour que je puisse y voir.

Parce qu’autrement ça m’aurait handicapé pour l’école, c’est vrai que de ma place je situe bien le tableau, mais pour deviner ce qu’il y a dessus c’est autre chose.

Dommage quand même, sans lunettes, ça me faisait une excuse.

Nous voilà enfin arrivés, je vais pouvoir me changer, me mettre en pyjama, pendant que papa est parti finir de nettoyer l’auto, et vaporiser du déo.

Tant que je suis en pyjama, je me couche, je crois que je suis encore malade, un peu ! Peut-être que demain je pourrai pas aller à l’école ?

Et je sais que mon père va venir me border, ça j’aime.

En plus, souvent il me raconte une histoire, plus il est heureux, plus elle dure longtemps.

Bien sûr vous allez dire que j’ai passé l’âge, et c’est vrai, mais j’aime quand même, et puis ça lui fait plaisir.

Puis, aussi là je sens qu’on est une famille, je rêve que ma mère m’aimait très fort, et elle est morte dans un accident, pour me sauver.

J’aimerais pouvoir l’aimer, j’aimerais !

J’aime bien rêver, je fais ma vie comme je veux, c’est moi qui décide.

Et puis je m’endors d’un coup, pourtant je résiste, j’ai peur de dormir, j’ai peur de pas me réveiller !

Un jour ça arrivera !

Mais dans longtemps j’espère !

Des fois je pense à mes cousins, ou mes cousines, que j’ai peut-être, ça doit être bien de se retrouver ; peut-être même que j’ai des demi-frères ou des demi-sœurs, si ça se trouve ?

L’ECOLE

À l’école, je suis le seul enfant sans mère.

Pour les filles, ça marche mieux, à la pitié !

Ben y en a qui sont costauds, d’autres qui sont plus beaux que moi, alors moi c’est à la pitié !

Je suis pas blond, j’ai pas les yeux bleus, alors !

Des filles, y en a, à l’école mais beaucoup des moches, donc le choix et pas bien grand, et en plus elles sont collantes, et plus elles sont moches, plus elles sont collantes.

Et pour jouer, c’est mieux les garçons.

On joue au ballon prisonnier, à chat perché, on a aussi une table de ping-pong, mais là, faut réserver son tour.

Ou on joue à rien, on discute.

En vrai, j’aime pas trop jouer avec les autres, j’aime mieux seul.

J’aime bien rêver aussi comme la nuit mais les yeux ouverts, je me vois plus tard, je sais pas si tous les enfants rêvent de plus tard comme moi ?

J’aime bien !

Je me vois pilote de formule 1, c’est pas que j’aime les courses de voitures, je regarde jamais.

Mais ça classe, pilote, pis ça doit pas être trop côté étude, suffit d’une voiture.

Ou alors grand chirurgien, j’aurais sauvé une femme superbe et même mieux, et puis du coup elle aurait quitté son mari et ses enfants (bien fait) pour m’épouser, voilà.

Ou bien éboueur aussi pour trouver des trucs.

Enfin j’ai encore le temps pour choisir, le mieux c’est quand même chômeur, pour la fatigue c’est mieux.

Puis à l’école, vaut mieux pas que les copains nous voient avec une fille, sinon bonjour les moqueries.

En tout cas pour en revenir à la photo de ma mère, j’espère que mon père y tenait pas trop, parce qu’elle a connement brûlé, bien fait !

J’aurais bien aimé pas être enfant unique, d’un côté c’est bien, mais d’un autre, c’est pas bien.

Mais de toutes façons, y aurait pas assez de place dans le cœur de mon papa.

Il aime que moi.

Et puis je suis trop jaloux.

J’aurais pas supporté !

Faut que je vous décrive mon école.

Elle est toute petite, c’est comme une maison, toute en briques, y a qu’une classe, et c’est mieux, du temps de mon père il y en avait deux, mais comme il y a de moins en moins d’enfants, ils en ont fermé une.

Enfin bref maintenant on est qu’une vingtaine, répartie en cinq groupes.

L’instituteur peut pas s’occuper de tout le monde en même temps, alors il nous donne des devoirs pour patienter, pendant ce temps là il peut s’occuper des plus petits, ou ceux qui ont des difficultés, forcément.

Le maître, il est coléreux des fois, mais dans l’ensemble, ça va.

Il est Corse, il paraît que pour les colères ils sont forts, les Corses.

Mais lui, quand même ça va !

Je l’aime bien parce que, il explique bien, puis il m’a fait aimer l’histoire, surtout la révolution, avec Robespierre, Danton, St Just, et les autres.

Au début c’est Robespierre que je préférais, mais quand même il a fait couler beaucoup de sang, même chez ses amis, d’un autre côté quand on veut faire le ménage pour de vrai, y faut pas hésiter non plus, je crois qu’il avait peut-être raison.

Mais enfin, guillotiner ses amis quand même !

Quoique moi j’ai certains amis que je ferais bien guillotiner.

Je plaisante bien sûr ?

Puis aussi Napoléon, « c’est incroyable le destin de cet homme », en tous les cas, c’est ce qu’il nous a dit.

C’est vrai que Bonaparte, c’était quelqu’un !

Pis à l’époque, c’était des jeunes qui s’occupaient des lois, et tout, maintenant, j’entends mon papa qui gueule après ces vieillards séniles, incompétents et fourbes, voleurs et assassins, enfin c’est lui qui le dit.

Moi personnellement, je les trouve très, très, très vieux.

Ça c’est sûr !

Ce que j’aime le mieux à l’école c’est lire, les maths, et bien sûr l’histoire, que je vous disais tout à l’heure.

Moi je suis en cm2, en fait dans mon groupe on est quatre.

J’aime beaucoup lire les livres de la bibliothèque, mais pas trop les livres pour les cours, c’est pas mon choix.

Puis j’aime pas, mais alors pas du tout le français, et la gym !...

Donc la salle est toute en longueur, on a deux rangées de pupitres, et cinq pupitres par rangée.

Sur les murs, j’aime bien, y a des sous-verre, avec des images d’anciens guerriers style gaulois, ou des soldats de Napoléon, et puis d’autre que je sais pas ce que c’est !

Au fond de la classe, il y a deux placards, d’un côté, on n’a pas le droit de l’ouvrir, parce qu’il y a toutes les affaires d’école, encre, stylos, crayons, bouquins de classe, bref, tout un tas de trucs qui ne m’intéresse pas.

Par contre de l’autre côté, le deuxième placard quoi, c’est la bibliothèque, alors là, c’est très chouette.

Et en plus sur une étagère, il y a des maquettes qui ont été faites par les élèves d’avant, et surtout, la maquette de la Santa-Maria, une caravelle qui participa à la découverte des Amériques, sous le commandement de Christophe Colomb.

Et ben, qui c’est qui la faite cette maquette ? mon père, eh oui !

Mais, il y a des années, même plus peut-être ?

En tout cas, elle est belle, poussiéreuse, mais belle !

Franchement, si j’avais pas peur de me faire piquer, et ben je la volerais !

En souvenir !

Pour finir avec la visite de la classe, le bureau du maître, face aux pupitres.

Derrière le bureau, un tableau fixé au mur, avec les deux extrémités qui se replient sur la partie centrale, et un autre sur le côté qui pivote de haut en bas.

C’est derrière celui-là, que l’on va les mains sur la nuque, quand on est puni, moi j’y suis déjà allé, mais pas trop souvent quand même.

Heureusement, parce que en plus, on a un mot à faire signer à nos parents.

Sur le mur aussi à l’opposé, la carte de France, avec les départements, les fleuves, les montagnes, et tout quoi !

En tous cas, cette carte est très vicieuse, parce que quand on la tourne, il y a plus rien d’écrit.

Si bien qui faut tout se rappeler !

Ce que j’aime pas aussi, c’est d’être appelé au tableau.

Parler devant tout le monde.

Je peux pas !

Alors forcément, j’ai de mauvaises notes, enfin que en oral parce que en écrit c’est mieux, enfin, je fais attention à pas être trop bon, parce que après on nous traite de lèche cul.

CHAUSSURE !

On est allé acheter des chaussures, l’autre jour avec mon père.

Vous me direz que ça n’a pas trop d’intérêt, eh ben si, il m’a encore fait une de ces colères !

Pourquoi ? eh ben simplement, parce que j’avais oublié de me laver les pieds.

Enfin, depuis plusieurs jours.

J’ai pas compté combien.

Mais quand même plusieurs.

En plus, c’est pas ma faute si y fait chaud, alors forcément, ça sent plus fort.

Je m’asseois sur la poubelle de la salle de bain, et je fais couler l’eau, et j’attends.

J’attends le temps normal, pour une douche normale.

J’emmène un bouquin, et j’attends.

Des fois, le bouquin est trop intéressant alors je vois pas le temps passer, je me fais disputer, parce que je prends trop d’eau, pour me laver.

Faudrait quand même savoir ce qu’il veut.

Je peux pas être propre sans eau !

Par contre, je peux être sale avec beaucoup d’eau !

Enfin bref, quand j’ai enlevé mes chaussures, bonjour l’odeur.

Oh, il a rien dit, dans le magasin, mais quand même, il est devenu tout rouge.

En plus, le con de vendeur qu’y lui dit, « et avec ça, il vous faut des chaussettes neuves ». Et en riant.

C’est dehors que ça s’est passé, v’la la colère !

Qu’est-ce que j’ai pris !

Que la prochaine fois, il me laverait lui-même, et en plus dans le jardin pour pas salir la salle de bain, et tout, et tout.

Moi, je sais bien qui le fera pas.

Je vais quand même faire attention, pendant au moins quelque temps.

Je le comprends pas.

Plus je vieillis, moins je le comprends.

Ça doit être ça le fossé des générations.

En tout cas, j’ai eu des belles pompes Nike.

Y voulait que je prenne des Adidas, n’importe quoi, ça fait con, Adidas.

Et comme il était pressé de sortir du magasin, vous savez pourquoi, eh ben j’ai encore gagné.

Finalement, si j’avais pas senti des pieds, peut-être que j’aurais dû me contenter des Adidas.

Et puis en plus, il m’a acheté des chaussures pour sortir le dimanche, ou même les autres jours, enfin pour sortir quoi.

Des chaussures de vieux, je crois des mocassins.

Noir !

Je me vois, me promener avec ça aux pieds dans Gouttières, la nuit peut-être, et encore, sans lampe de poche.

Enfin bref, ça a été un grand moment de notre vie.

Je rigole, mais, j’aime pas du tout, du tout, quand il ne parle plus comme ça, plusieurs minutes d’affilée.

Il boude !

C’est pire qu’une engueulade, ou même qu’une gifle.

Enfin là je suppose, des claques, je me rappelle pas en avoir déjà reçues !

Mais je crois que je préférerais !

Je pourrais lui jurer que je recommencerai plus, mais à force de jurer, il va finir par plus me croire, et en plus… J’ai pas envie !

CIGARETTE.

J’ai fumé ma première cigarette, vous allez dire que je vous parle toujours de la première fois, mais après la première fois ça n’a plus le même intérêt.

Alors ma première cigarette !

Je l’ai piquée à mon père, comme moi il a pas le droit de fumer, mais les adultes, ils ont droit de pas avoir le droit et de le faire quand même.

Bref, je lui en ai piquée une !

Pour goûter !

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